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La pub à la télé

Jean-François Cavin
La Nation n° 2175 21 mai 2021

J’aime la pub à la télé. Ce penchant n’est pas partagé par tous: on connaît de nombreux spectateurs du petit écran qui profitent des minutes de réclame pour prendre l’air sur le balcon, ou se verser un verre, ou ranger la vaisselle, ou consulter leur agenda du lendemain, ou s’isoler dans un endroit reculé de l’appartement. Ils marquent ainsi leur ennui – voire leur dédain, voire leur irritation – envers ces messages mercantiles interrompant les vrais programmes, spots dont le seul mérite est de leur permettre de s’arracher du sofa l’espace d’un moment.

Pour moi, c’est l’inverse. Car la pub vient en contrepoint bienfaisant à des émissions accablantes. Le journal télévisé nous montre une éruption volcanique terrifiant la population d’une île lointaine; un séisme anéantissant un village de tôle à l’autre bout de la planète; des milices libyennes prêtes à massacrer d’autres milices libyennes; Joe Biden menaçant la Suisse de représailles fiscales injustifiées; des ados boutonneux exprimant leur désarroi profond d’être privés de rave parties; Ignazio Cassis disant que l’accord-cadre… oui, mais non, ou peut-être, mais c’est à voir, que la balle est dans le camp de Bruxelles (qui prétend le contraire). L’horreur, ces nouvelles!

Puis on passera à un reportage sur le réchauffement climatique présentant la perspective glaçante d’une mort prochaine de la Terre; ou à un débat sur l’AVS montrant qu’il n’y aura pas de solution pour la renflouer tant que les femmes resteront des femmes; ou à une émission sur les animaux sauvages montrant qu’ils ne savent que copuler, tuer et dévorer; ou à un polar américain, numéro 13 de la saison 6, où un inspecteur de couleur finit par débusquer l’auteur de meurtres en série commis sur de jeunes blondes atrocement mutilées. Comme le monde est moche.

Tandis que la pub, c’est sympa. Des enfants rieurs crunchent de délicieuses galettes pour les quatre-heures. Une ménagère s’émerveille devant la blancheur de sa lessive. Une autre jeune femme se prépare à sa journée de cadre dynamique avec la certitude que ses aisselles resteront sèches et fraîches au fil des rendez-vous d’affaires. Une famille heureuse se retrouve, le soir venu, devant un plat de spaghetti qui sont les meilleurs de la Botte. Une pommade-miracle me promet des articulations indolores (c’est appréciable à mon âge). Un banquier garantit à un couple que ses économies sont placées en toute sécurité (si, si, ça existe, ailleurs peut-être qu’à la Paradeplatz). Comme le monde est beau!

La propagande télévisée stimule aussi la réflexion sur l’art et la technique de la communication. Certains professionnels de la branche croient encore que la répétition du message accroît son efficacité; il faudrait taper sur le clou; ils ne comprennent pas que, si c’est vrai au fil des jours ou des semaines, la présentation du même sujet le même soir avant les nouvelles, après les nouvelles, avant le film de 21: 05 et à l’entr’acte de ce film exaspère au contraire le client potentiel. Et que dire de ce distributeur alimentaire d’origine teutonne dont le porte-parole hurle la largesse commerciale, dans une exaltation jubilatoire qui vante un rabais de trente centimes sur le kilo de carottes…

A l’opposé, on savoure des réussites, drôles, imaginatives, ou simplement belles par leur image. Dans l’art du slogan, donnons la palme d’or au site de partenariat Parship: «Nous perdons des clients chaque jour. Et cela nous fait plaisir, car c’est en couples que nous les perdons.» Et le prix spécial du jury à cette phrase toute simple en faveur de la protection des eaux: «Sous chaque grille se cache une rivière.» C’est bien dit et surtout le message émane de l’Association suisse des gardes-pêche. Il existe donc une Association suisse des gardes-pêche! Ah! la richesse du tissu associatif de notre Confédération! Le corporatisme n’est pas mort! Quand on aura enfin remplacé, au Parlement, les querelles stériles des partis par la représentation des forces vives du pays, l’Association suisse des gardes-pêche y méritera sa place.

La pub à la télé, c’est une fenêtre ouverte sur le rêve.

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