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L’indispensable réforme du droit d’urgence

Félicien MonnierEditorial
La Nation n° 2176 4 juin 2021

La prochaine crise ne sera probablement pas sanitaire. A moins d’en faire une critique sévère, les mécanismes du droit d’urgence seront, eux, toujours les mêmes. Il faut dès à présent tirer les leçons des derniers mois pour identifier quels ajustements y opérer, et envisager une réforme dès l’automne.

Urgence et précipitation

Le recours par nos autorités au droit d’urgence a révélé trois aspects inattendus, tous inédits dans notre histoire institutionnelle. D’abord un référendum a été demandé contre une loi fédérale déclarée urgente, à savoir la LexCovid. Ensuite, la loi (urgente) a été modifiée par les Chambres fédérales. Enfin, cette modification a eu lieu entre l’aboutissement du référendum et le vote, mais surtout après le bouclage de la brochure explicative pour les votations.

Dans La Nation du 7 mai 2021, nous avions soulevé la question de savoir s’il y avait «une loi dans la loi». Les modifications subséquentes resteraient-elles en vigueur malgré un refus du peuple le 13 juin d’accepter la loi de base? Le Conseil fédéral a répondu par la négative à une intervention de M. Jean-Luc Addor1. Toute la loi Covid tombera en cas de NON, y compris ses amendements postérieurs au lancement du référendum. Il s’agit, entre autres, du certificat sanitaire.

Les accidents graves surviennent toujours en raison d’une chaîne de petits incidents successifs. Le flou qui règne autour de l’objet véritable du vote du 13 juin 2021 découle de ces trois incongruités apparues entre septembre 2020 et avril 2021. Lorsqu’un tel brouillard entoure le fonctionnement de nos institutions, il devient plus difficile de blâmer les «complotistes». La lisibilité de la démocratie directe est la condition de son exercice.

L’art. 165 de la Constitution fondant le droit d’urgence doit être précisé. Il faut y mentionner explicitement qu’un refus de la loi en votation s’étend également aux éventuelles modifications intervenues postérieurement au lancement du référendum.

Le petit frère épidémique

Le 16 mars 2020 au soir, le Conseil fédéral constatait la «situation extraordinaire». Il fermait les bars et les frontières, mobilisait une partie de notre armée. Il s’appuyait pour cela sur l’art. 7 de la loi sur les épidémies: «Si une situation extraordinaire l’exige, le Conseil fédéral peut ordonner les mesures nécessaires pour tout ou partie du pays.» En période d’épidémie, dix-neuf mots suffisent à fonder ses pleins pouvoirs, et par ricochet ceux de l’OFSP.

Cette prérogative et les normes qui en découlent sont indépendantes du droit d’urgence traditionnel, prévu par l’art. 165 de la Constitution. Si bien que la loi sur les épidémies a en réalité créé un droit d’urgence parallèle, soustrait aux mécanismes usuels. En 1949, nos fondateurs cherchaient à encadrer les pleins pouvoirs dont la guerre avaient nanti le Conseil fédéral et révélé le potentiel centralisateur. En 2013, en acceptant, largement (malgré l’opposition de la Ligue vaudoise), la loi sur les épidémies, le peuple suisse a tout simplement annihilé l’art. 165 et ses finesses lorsque la crise est sanitaire. Il a également vidé de leur contenu les règles sur les ordonnances urgentes du Conseil fédéral adoptables en cas de menaces contre la sécurité intérieure et extérieure. Ces dernières doivent être ratifiées dans les six mois par les Chambres. Pour sa part, la loi sur les épidémies ne prévoit pas un tel mécanisme.

Nous admettrons la nécessité que l’exécutif puisse prendre rapidement des décisions brutales. Le 16 mars 2020, personne n’en menait large et nous ignorions quelle direction l’histoire prenait. Mais le mécanisme actuel de l’art. 7 de la loi sur les épidémies est largement insuffisant. Par ce biais, le Conseil fédéral peut tout simplement s’attribuer les pleins pouvoirs à lui-même, sans se les faire octroyer par une autorité extérieure. A Rome, le dictateur avait des pouvoirs plus limités et plus légitimes.

Alliés au technocratisme vétilleux de l’OFSP qu’impose la loi sur les épidémies, ces pleins pouvoirs pandémiques sont en réalités terrifiants. Ils permettent d’empêcher le Parlement de se réunir, ce qui s’est passé dans les faits. Quant aux cantons, leur place est réduite à celle que le Conseil fédéral veut bien leur accorder. Il faut concéder que celle-ci fut importante durant les derniers mois. Mais rien n’indique que la prochaine gestion de crise sera fédéraliste. La loi sur les épidémies est centralisatrice dans sa lettre et son esprit.

Une solution simple semble exister. Ce droit d’urgence épidémique parallèle doit se rattacher aux mécanismes usuels de l’ordonnance urgente du Conseil fédéral (art. 185 de la Constitution fédérale). Dans un délai de six mois, la situation extraordinaire devrait être ratifiée par une loi soumise au référendum, tout en étant limitée dans le temps. A réfléchir, mais nous y reviendrons.

Notes:

1  «Les Suisses trompés par la brochure explicative sur la loi Covid-19», du 5 mai 2021: https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20213588

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