Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Postlude à Barbarossa

Jacques Perrin
La Nation n° 2176 4 juin 2021

Barbarossa, invasion de la Russie conduite par les Allemands dès le 22 juin 1941, est aussi le titre d’un livre de 957 pages (paru en 2019 aux éditions Passés composés) où deux historiens, Jean Lopez et Lasha Otkhmezuri, racontent l’origine, les causes, le déroulement et les conséquences de ce qu’ils nomment une guerre absolue. Cette campagne, la plus sanglante de l’histoire, a causé 5’000’000 de morts en six mois, 1000 par heure, sur un théâtre d’opérations équivalant à deux fois la surface de la France. Ce ne sont pas deux nations qui s’affrontent pour des raisons politiques, mais deux idéologies, le racisme et le bolchévisme, incarnées par Hitler et Staline.

Pour Hitler, il s’agit d’entrée de jeu d’exterminer des peuples inférieurs afin d’assurer un espace vital à la race nordique qui colonisera les terres russes et en exploitera les richesses.

Quant à Staline, il veut d’abord purger son régime des nationalistes baltes ou ukrainiens, de tous les traîtres en puissance insensibles au charme de l’utopie bolchevique, des défaitistes et des officiers jugés par lui incompétents, afin d’assurer la base de la révolution mondiale voulue par Lénine.

Hitler veut exterminer les autres pour faire toute la place aux siens. Staline liquide certains des siens pour mieux vaincre fascistes et capitalistes.

Dans une brève introduction, Lopez et Otkhmezuri exposent deux situations typiques.

Le 22 juin 1941, la 221e division de sécurité, l’une des plus médiocres de la Wehrmacht, entre en Biélorussie, subissant 186 pertes. Le 27 juin, elle est accueillie à Bia?ystok avec le pain et le sel, certains habitants espérant se débarrasser du bolchevisme. Le 28 juin, le général Pflugbeil, commandant de l’unité, exprime sa reconnaissance à ses hommes, distribuant force décorations. Ils viennent de fusiller, d’assommer ou de brûler vifs dans la synagogue 2000 Juifs, premier acte d’un génocide qui se «radicalisera».

Le 3 juillet, le général soviétique Dimitri Pavlov, commandant du Front de l’Ouest (l’une des plus grandes unités opératives), est arrêté. Bien que bon connaisseur de l’arme blindée, membre du parti communiste et décoré pour services rendus en Chine et en Espagne, il est torturé durant deux jours sous la direction de Lev Mekhlis, le Torquemada rouge. Il avoue ce qu’on veut, lâcheté, inaction, abandon de la direction, abandon non autorisé de la position de combat. Il est fusillé avec tous les pseudo-complices qu’il a dénoncés au hasard. Le 1er octobre, son père, sa mère, son épouse, sa belle-mère et son fils sont déportés en Sibérie où presque tous mourront.

Staline a fait un exemple. Il exige une obéissance absolue. Tout officier ou soldat doit vaincre ou mourir, que ce soit sous les obus allemands ou les balles du NKVD, la police politique.

Depuis 1940, trois ensembles s’opposent: le bloc démocratique et capitaliste (Etats-Unis, Angleterre), le bloc national-raciste (Allemagne, Italie, Japon), et l’URSS. Celui qui se retrouve seul face aux deux autres périra. Churchill, homme authentiquement politique, déteste les deux blocs totalitaires et comprend cette situation. Il s’allie avec l’URSS pour vaincre Hitler avec l’aide des Américains, avant que l’Angleterre ne collabore avec ceux-ci pour venir à bout de l’URSS au terme de la Guerre froide.

Le Pays de Vaud et la Confédération n’ont pas été entraînés dans une guerre depuis plus de 170 ans. Nous vivons dans l’abondance et la paix au cœur d’un continent qui s’est détruit lui-même de 1914 à 1945. De Berlin à Moscou, de Vyborg à la Mer Noire, des millions de personnes ont subi le martyre. Les soldats soviétiques encerclés puis condamnés à mourir de faim et de froid en captivité ont su ce que souffrir signifie, de même que les fantassins allemands harcelés par les partisans dans l’infini de contrées inhospitalières, les Juifs de Kiev liquidés dans les fosses de Babi Yar, et les gamines de 13 ans, peinant avec leurs mères dans des usines d’armement à ciel ouvert, évacuées au-delà de l’Oural.

En Occident nous ne le savons plus, mais la haine idéologique trouve un aliment même dans la paix et l’abondance, nous sommes devenus fragiles, la mort et la souffrance sont impensables.

La civilisation européenne a connu une certaine unité quand cathédrales et églises se bâtissaient dans toutes les villes et tous les villages, de la Crète à Oslo, de Dublin à Kiev. Puis la religion chrétienne s’est divisée en de multiples confessions et sectes. Après la Révolution française, des idéologies utopiques et nihilistes les ont remplacées. L’Europe ne s’est pas remise des crimes commis en leur nom.

L’Italie, la France, l’Espagne, le Portugal et les Pays-Bas, nations tour à tour illustres, sont des pays de second ordre. L’Empire britannique a disparu et l’Angleterre s’adosse à l’Amérique. L’Allemagne, démoralisée par la culpabilité, décroît: cinq millions de Turcs et de nombreux migrants suppléent à l’insuffisance des naissances autochtones. La Russie, qui a perdu 25 millions d’habitants entre 1941 et 1945, a diminué et adopté une attitude ambiguë face à son passé communiste. L’Union européenne, tatillonne et centralisatrice, masque l’affaiblissement des nations qui la composent.

Les Etats-Unis, où le nombre d’habitants d’origine européenne reflue, empêchent l’Europe, grâce à l’OTAN, de s’entendre avec la Russie. La Chine veut s’imposer comme première puissance du monde. L’univers religieux ayant horreur du vide, l’islam sera peut–être assez fort pour combler celui-ci en Europe. Le «sultan» Erdogan intimide déjà les fonctionnaires bruxellois.

Comme en 1941, des idéologies s’affrontent. Nous en distinguons cinq: le mondialisme; le populisme réactif; le transhumanisme libertarien; l’écologisme avec ses annexes féministes et LGBT; le suprémacisme racial.

Ces cinq idéologies se disent démocratiques et égalitaires, du moins au sein des «communautés» concernées. Les notions politiques de nation, de bien commun, d’ordre et de différence hiérarchique n’y ont aucune place. Des guerres civiles ou internationales sont à craindre, d’ordre religieux, racial, climatique, à cause du manque de ressources indispensables, de distribution ou de restriction excessive de droits, d’uniformisation insupportable.

Bien que ces idéologies irrationnelles paraissent l’apanage de minorités imbéciles, il ne faut pas s’y tromper: les processus révolutionnaires meurtriers sont le plus souvent lancés et entretenus par des groupes minuscules, comme les nazis ou les bolcheviques à leurs débuts.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: