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Succession

Olivier Delacrétaz
La Nation n° 2176 4 juin 2021

Les nations résistent indéfiniment. Détruites ou dispersées, elles peuvent renaître. La Pologne, tant de fois amputée et dépecée, s’obstine à vivre. Israël, privé de sa terre durant presque deux millénaires, s’est reconstitué en Etat.

L’homme politique sait que sa patrie existera encore quand il sera mort depuis longtemps. Il doit donc s’efforcer d’inscrire son action dans ce temps qui le dépasse. Or, il arrive tant d’événements imprévus – guerres, débâcles économiques, catastrophes écologiques, pandémies – qu’il est incapable d’imaginer l’avenir à long terme, sinon sous la forme trompeuse d’une extrapolation du présent. Ce qu’il peut faire, en revanche, c’est identifier les mécanismes permanents qui meuvent la communauté politique dans la durée. La soumission à ces données stables et objectives lui permettra de conserver le cap avec quelque assurance de ne pas s’égarer.

Dans ses débuts, la Ligue vaudoise a longuement recherché ces références fondamentales, à la fois dans la philosophie réaliste d’Aristote et dans l’histoire si mal connue, à l’époque, du Pays de Vaud. Les esprits «modernes» jugent ces références dépassées et sans pertinence, préférant réciter leur sempiternel catéchisme étatiste, centralisateur, internationaliste et moralisateur.

Et puis, voici qu’aujourd’hui, nous nous trouvons en résonance avec les tendances du jour. Les exigences d’une politique sanitaire efficace ont réhabilité aussi bien les frontières fédérales que les souverainetés cantonales, deux réalités politiques auxquelles nous vouons tous nos soins. La pensée écologique accorde une importance vitale à la production et à la consommation locales, non seulement en matière de légumes et de petits fruits, mais aussi de vêtements, de jouets, de médicaments, d’énergie, ce qui contraint logiquement les écologistes à reconnaître que le biotope humain local et vital – c’est-à-dire territorial et communautaire – est le Canton. La volonté de protéger les acquis salariaux helvétiques a permis à la gauche de redécouvrir les avantages sociaux des frontières politiques. Ces convergences, qui restent fragmentaires, ne nous en réjouissent pas moins. Elles n’étonnent que ceux qui préfèrent les idées toutes faites à la réalité. La durée, mieux que tous nos raisonnements, décante les actions humaines, en élimine le superficiel, le déclamatoire, l’illusoire, le faux, le blet.

Placer son action dans la perspective du temps long ne prend pleinement son sens que si l’on y inscrit aussi le souci de sa succession. Ce souci fait partie intégrante de la charge, et pas seulement lorsqu’on se sent en bout de course. C’est immédiatement qu’un bon réaliste doit y penser: un coup du sort est si vite arrivé.

A la Ligue vaudoise, le renouvellement de nos collaborateurs est depuis toujours un souci permanent. Trouver un responsable de référendum pour quelques mois, un étudiant pour organiser les Entretiens du mercredi, une directrice des Cahiers, de nouvelles plumes pour La Nation, des participants au prochain camp de Valeyres (les nouveaux seront particulièrement nombreux cette année). Ce perpétuel renouvellement, fondé sur la confiance de l’amitié, engendre pas mal de joyeuse effervescence dans nos locaux. Dans le présent numéro, le rédacteur le plus jeune a vingt-trois ans et le plus âgé frôle les huitante. Entre les deux, chaque décennie est représentée.

Cette conception organique de la succession est étrangère à la démocratie, régime qui se fonde moins sur la confiance en l’autorité que sur la méfiance envers le pouvoir. Il est bizarre, par exemple, qu’un élu ne puisse pas désigner et préparer son successeur en le faisant profiter de son expérience et en l’associant progressivement à l’exercice du pouvoir. Le voudrait-il, d’ailleurs, qu’il ne le pourrait pas. Ce n’est pas lui qui le choisit. C’est le parti – et au terme de quelles luttes intestines! –, puis l’électeur. Nous dirions même qu’un «vient-ensuite» de qualité peut être ressenti comme une menace par le politicien en place. Il vaut mieux pour celui-ci couper les têtes qui dépassent. Il évitera ainsi d’être évacué avant l’heure.

C’est notamment pour s’éviter la discontinuité morbide du pouvoir démocratique que la Ligue vaudoise s’est développée en dehors du système des partis, se gardant même d’intervenir dans leur jeu pour désigner les candidats qui lui semblaient les meilleurs.

Réussir une succession est une tâche ardue et de longue haleine. Aussi privilégions-nous les mandats longs. Pierre Bolomey fut responsable d’un numéro sur deux de La Nation durant plus de quarante ans. M. Jean-Blaise Rochat, qui lui a succédé, en est à sa vingt-septième année. Depuis sa création, en 1933, la Ligue vaudoise n’a connu que deux présidents, qui ont duré quarante-quatre ans chacun.

Aujourd’hui, c’est dans le même esprit de fidélité à des principes éprouvés et à notre inaliénable héritage historique que M. Félicien Monnier prend le relais à la tête de notre Mouvement. Il a trente-trois ans, il est docteur en droit et avocat, sa thèse en droit romain a été acceptée summa cum laude. Il est capitaine à l’armée. Aussi à l’aise avec les vignerons paysans d’Arnex-sur-Orbe, dont il est originaire, qu’avec les milieux académiques lausannois, avec ses anciens camarades des Jeunesses campagnardes qu’avec la société de Zofingue, il entretient des relations amicales avec les jeunes et les vieux de la Ligue Vaudoise. Tous, nous lui sommes grandement reconnaissants et nous réjouissons de travailler sous sa direction.

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