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Occident express 86

David Laufer
La Nation n° 2179 16 juillet 2021

C'était une jeune Anglaise entreprenante. On devait être en 1987 en Provence, sur une plage de sable bordée de pins parasols et jonchées d'algues sèches. J'étais interne dans un collège catholique, dernier d'une famille de six enfants. Ce qui explique ma grande confusion lorsqu'elle se mit en tête de nous faire à tous deux «avaler la première arrête», comme le suggère Brassens. Mes grandes sœurs, toujours là pour m'aider à enfreindre ce qui me semblait sacré, m'avaient presque mis un pied aux fesses pour que je trouve le courage de me soumettre à ce rendez-vous nocturne. Le secret de cette brève entrevue ne résista pas aux inquisitions du père de la demoiselle. S'en suivit un vaudeville familial, cuisant pour moi, amusant pour mon père, désolant pour ma mère et scandaleux pour le père de ladite sirène, qui m'avoua, dans un français oxfordien, n'avoir «pleuré que deux fois dans sa vie, la première fois lorsque ma mère est morte, la seconde fois hier soir lorsque ma fille est rentrée à la maison». Aveu qui m'offrit la maigre consolation de ne pas avoir été complètement inutile, à défaut d'être expert. Puis il me menaça de poursuites, la jeune fille étant, sur le papier en tous les cas, mineure. Aujourd'hui, me baignant sur ces côtes adriatiques, je regarde ces versions plus jeunes de moi-même et cette évidence me frappe: pour eux les vacances à la mer ne servent qu'à «ça». Du temps du communisme, libérés du poids de la religion, les Yougoslaves s'y donnaient à cœur joie. Les récits de leurs étés dalmates ou monténégrins de mes amis belgradois ou zagrebois, dans les années huitante, résonnent tous de cette simplicité et de ce bonheur de la découverte de leurs corps. Ils évoquent avec nostalgie ces semaines infinies où, presque nus, mangeant des boîtes de conserve et dormant à six chez la grand-mère du voisin, ils passaient leur été à nager, à bronzer et à s'aimer. Les choses ne sont plus si simples désormais. Le coût astronomique de tout pour des jeunes étudiants, le retour d'un catholicisme rigoriste et national en Croatie, tout cela respire le retour à des interdits d'un autre âge. Sous couvert de menace de cancer du sein, le topless a entièrement disparu. Une pudeur nouvelle s'installe, les jeunes sont tenus à des couvre-feu stricts, aggravés par le covid. Un coup d'œil à Internet ou aux applications de rencontre peut donner l'impression d'un libertinage généralisé et sans entraves. Ce qui est peut-être vrai dans certains cas, urbains, et fort éloignés de ces rivages. Mais ici, sur la côte dalmate, ces jeunes corps, qui arpentent les plages et les cafés à la recherche de cette expérience nécessaire, ne semblent pas aussi insouciants que leurs parents. La pression induite par les médias sociaux où tout le monde s'espionne et se compare, tout cela annonce un âge nouveau. Dont je ne peux juger, mais je sais pourtant bien que les petits vaudevilles de mon enfance n'existent plus. Cette insouciance un peu confuse, cette joie fébrile d'enfreindre ce que des parents sévères nous interdisaient fermement, tout cela a disparu. Et je ne sais si je dois envier cette nouvelle génération, ou la plaindre.

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