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Informés ou intoxiqués?

Adrien Delafontaine
La Nation n° 1927 4 novembre 2011
Quel est le point commun entre le vote sur la loi fédérale concernant l’asile, la nouvelle Constitution fédérale de 1999, et l’implication de la Suisse dans l’OTAN? C’est l’utilisation des techniques psychologiques de manipulation de l’opinion publique par des spécialistes en communication au Palais fédéral, dont le nombre est passé de 432 en 2003 à 700 en 2007.

Ce thème a été abordé par Mme Judith Barben, psychologue FSP dans son livre Les Spins doctors du Palais fédéral1, où sont relatées les techniques utilisées pour manipuler l’opinion publique.

La première de ces techniques que relate Mme Barben est celle expliquée par le journaliste Michael Kinsley: «Spin signifie représenter la réalité de façon à ce qu’elle serve nos desseins […]. Faire du spinning signifie commencer par le résultat et inventer un argument qui convient pour l’expliquer.» C’est ainsi que l’agence de relations publiques Hill & Knowlton a reçu le mandat d’inventer la raison de mener la guerre en Irak.

La deuxième technique de manipulation est expliquée par le philosophe Joseph Pieper: «La maîtrise consiste à ne pas laisser apparaître la menace en pleine lumière, mais à la laisser voilée. La menace doit bien sûr rester perceptible mais simultanément la personne menacée doit être incitée à penser qu’elle agit raisonnablement […].» A titre d’exemple, lors de la votation sur l’armée qui masquait un rapprochement avec l’OTAN, Adolf Ogi dit «On se tient à l’écart et on n’en fait bientôt plus partie.» La Suisse serait ainsi obligée d’accepter la votation pour ne pas être laissée à l’écart.

La troisième technique est la programmation neurolinguistique (PNL). Elle modifie la perception de la réalité par des expressions à forte connotation émotionnelle permettant d’influencer l’opinion de la population. Mme Judith Barben résume un manuel expliquant comment influencer les électeurs par cette technique. Ce document contient une liste de mots ayant un impact favorable tels que «réforme», «vision», «chance», «courageux» et «libre» et une deuxième liste ayant un impact négatif dont voici un aperçu: «tromperie», «crise», «intolérant», «obsolète», «menacer», «avoir des idées fixes», «croissance», «changement» et «haineux». Cette technique a été utilisée par le Conseiller fédéral Arnold Koller dans sa lettre aux médias sur laquelle nous reviendrons.

Etudions maintenant les deux cas dont l’un concerne la nouvelle Constitution fédérale de 1999 et notamment deux de ses conséquences:

A. La nouvelle Constitution restreint la souveraineté des cantons. En effet, l’article premier stipule que «le peuple suisse et les cantons […] forment la Confédération suisse». L’ancienne Constitution énonce pour sa part que «les peuples suisses des vingt-trois cantons souverains de la Suisse, unis par la présente alliance […] forment dans leur ensemble la Confédération suisse». La nouvelle Constitution oppose canton et peuple, supprime le nombre de vingt-trois cantons et suppose l’existence d’un «peuple suisse» qui n’existait pas dans l’ancienne Constitution.

B. La façon dont le franc suisse est garanti par les réserves d’or est révolue. Tandis que l’ancienne Constitution spécifie que «les billets de banque émis doivent être couverts par de l’or […]», la nouvelle Constitution stipule «qu’une part des réserves monétaires doit consister en or». L’ordre monétaire suisse a ainsi été bouleversé et les cantons ont été spoliés d’un patrimoine substantiel étant donné que l’or n’a cessé de prendre de la valeur depuis 2001.

Ces deux exemples montrent que la souveraineté des cantons et l’ordre monétaire ont été chamboulés dans la nouvelle Constitution sans prise de conscience de la population.

Face aux rares oppositions, le Conseiller fédéral Koller adressait, six jours avant la votation, une lettre aux rédacteurs en chef des journaux suisses, dont voici un extrait: «[…] une opposition haineuse s’est malheureusement déclarée […] dans des pamphlets. […] Il est regrettable que ce soit surtout l’opposition populiste de droite qui opère avec des préjugés, des insinuations et des contrevérités. Il serait grave que les adversaires fanatiques parviennent à empêcher un assentiment convaincu à cette oeuvre consensuelle soigneusement élaborée […].» Nous voyons ici un cas pratique d’utilisation de programmation neurolinguistique avec une liste de mots à fortes connotations positives et négatives. D’autre part, dans un arrêté fédéral, il était clamé haut et fort que la nouvelle Constitution n’était qu’une «mise à jour»: il était écrit dans la brochure fédérale «tous ménages» destinée à la votation que «la nouvelle Constitution adopte une langue plus moderne et une formulation plus claire […]. La nouvelle Constitution […] comble des lacunes, règle les questions en suspens, intègre de nouvelles dispositions et se débarrasse de règles surannées et de détails superflus. Les dispositions éprouvées sont conservées.» Dans ce cas aussi, la technique PNL est clairement perceptible. La révision a été acceptée par le peuple et, six mois après la votation, le Conseiller fédéral Arnold Koller déclarait: «Avec le recul, je dois reconnaître que parler de mise à jour minimisait l’importance de l’entreprise.» Il reconnaît donc implicitement qu’il s’agissait d’une révision et non d’une «mise à jour»!

Le deuxième cas concerne la votation sur l’armée en 2001. Sur le sujet d’un rapprochement éventuel de la Suisse avec l’OTAN, le parlement est «hypnotisé» par des formules «vides»: «Le monde ne s’ouvre à nous que si nous nous ouvrons à la coopération avec le monde. […]» Rebelote en 2003 lors de la votation sur Armée XXI; un conseiller en relations publiques du Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS) explique: «Cela fait des années que la politique de sécurité de la Suisse est prisonnière d’une cage dorée faite de neutralité, de système de milice, de concordance […]. Il faut briser politiquement cette cage […]. Cela ouvrira la voie aux changements effectivement nécessaires.» Dans ce cas également, la technique de programmation neurolinguistique (PNL) a été utilisée lors de la votation.

Quel est le point de vue du Tribunal fédéral et des Services d’information de la Confédération (CSIC) concernant le sujet délicat de l’information avant une votation? Le TF stipule que «la liberté de la formation de l’opinion exclut par principe toute prise d’influence directe des autorités qui serait de nature à fausser la libre formation de la volonté des citoyens avant des votations et des élections […]. Il est en outre condamnable que les autorités interviennent dans une campagne de votation par une utilisation disproportionnée de moyens publics.» D’autre part, les lignes directrices du CSIC spécifient que «la propagande, la suggestion, la manipulation, la dissimulation, la tromperie et la désinformation sont interdites […]. Le Conseil fédéral et l’Administration fédérale n’ont en outre pas le droit de taire des informations importantes pour des raisons tactiques.»

A chacun de mener une réflexion sur les moyens utilisés par les autorités fédérales pour gagner la population à sa cause.

 

NOTES:

1 Les Spins doctors du Palais fédéral, comment la manipulation et la propagande compromettent la démocratie directe, Ed. Xenia, Vevey, 2010.

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