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Playmobil, design et réalités sociales

Félicien Monnier
La Nation n° 1927 4 novembre 2011
En 1974, Hans Beck, directeur de la création d’une fabrique de jouets à Dietenhofen en République fédérale d’Allemagne, est pris à la gorge par la crise pétrolière. Il cesse alors de produire ses volumineux camions en plastique. A la place, il se lance dans la fabrication de petites figurines de 7,4 centimètres de haut. Le playmobil est né! En quelque trente-cinq années, la marque a inondé la planète de plus de 2,5 milliards de figurines évoluant dans vingt-cinq mondes différents. Elle atteint en même temps un statut légendaire. Malgré leur apparente fixité, les personnages sans nez et aux mouvements limités sont devenus une véritable icône de l’univers enfantin. L’auteur en sait quelque chose…

Le Musée de design et d’arts appliqués contemporains de Lausanne (MUDAC) consacre jusqu’au 12 février 2012 une exposition à ce phénomène de l’industrie du jouet. Répartie sur deux salles, l’originale exposition retrace l’histoire du playmobil de 1974 à nos jours. On peut en outre y découvrir le fonctionnement de la chaîne de production de Dietenhofen et voir en live la fabrication d’une figurine animale.

Musée de design momentanément transformé en musée du jouet, le MUDAC s’attarde principalement sur l’univers graphique et plastique de Playmobil. Exposés, les centaines d’accessoires que peuvent manipuler les figurines démontrent l’ingéniosité et l’imagination des concepteurs du célèbre jouet. Ces divers objet sont méticuleusement alignés les uns aux côtés des autres. S’étalent alors sous les yeux du visiteur des pinces à grillades, des livres, des perchoirs à perroquet, des casquettes de baseball, des fleurs, des pièces d’or, des rames: la réalité dans toute sa diversité. L’univers de playmobil est aussi un univers épique, très masculin. En bonne place figurent des armes en tout genre, lances, hallebardes, épées; mais aussi des canons, six sortes de fusils, cinq sortes de pistolets: Winchester et autres colts, carabines de chasse, fusil à lunette et reproduction du très germanique Glock 17.

Comme une armée à la parade, des cohortes de soldats sudistes s’alignent dans des vitrines alors que, juste en face, un prisonnier s’évade de sa cellule, la police aux trousses… Sa face de canaille nous fait penser qu’il mérite tout à fait sa place en prison. Il est mal rasé, paraît sale, a les cheveux noirs.

On comprend alors qu’en fait, Playmobil n’est pas vraiment politiquement correct. Certes leur catalogue laisse une place importante au mode de vie calme des familles aisées du continent européen. Dans l’univers de Playmobil, on va à l’école en semaine, au zoo le samedi et en pique-nique le dimanche. C’est tout le programme d’éducation des petits Allemands de la classe moyenne, dans ce qu’il a de plus caricatural, qui tient dans ces boîtes de cartons; bleues pour les garçons, roses pour les filles.

Néanmoins, le catalogue des célèbres figurines n’est pas si policé1. Les sudistes – soldats du sud esclavagistes des USA durant la guerre de sécession – tiennent une place honorable dans le monde du Western. Ils ont même un général. Les policiers antiémeutes sont surarmés et portent des gilets pare-balle, cachés qu’ils sont derrière leur véhicule grillagé. Un appui aérien leur est donné par un hélicoptère duquel débarquent les membres du groupe d’intervention de la police. Les bandits sont entravés par des menottes. Les chevaliers fêtent la victoire en perçant de gigantesques tonneaux de bière. Dans la salle d’opération, le chirurgien est accompagné d’une charmante assistante. La vie domestique, quant à elle, n’a rien de moderne. Madame fait le repassage et la cuisine. A côté, elle peut tout de même exercer le métier de policière. En revanche c’est Monsieur qui est au bureau ou qui tond le gazon. Certains égalitaristes ne doivent pas trouver cela du meilleur goût…

L’exposition du MUDAC n’a pas pour propos, ni pour vocation, de s’attarder sur ces éléments sociologiques. Playmobil y apparaît néanmoins comme une aventure fascinante d’originalité tant économique qu’artistique. Mais le succès de la marque réside peut-être aussi dans le fait que l’on ne peut pas vraiment mentir aux enfants.

 

NOTES:

1 Nos considérations ne concernent pas particulièrement les objets exposés au MUDAC, bien que ce soient ceux-ci qui nous aient inspiré.

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