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Fragmentation

Alain Charpilloz
La Nation n° 2177 18 juin 2021

Pour qui observe, avec le regard de l'amoureux déçu, l’évolution politique de nos voisins français (d'abord), italiens (juste derrière) et allemands (un peu après), une sorte de mouvement tellurique se produit sous ses yeux. Ce qui a structuré le débat durant presque un siècle est en train de se fragmenter, sous l’effet de l’érosion, lente mais continue, des deux pensées qui ont dominé le débat en Europe: le christianisme et le marxisme.

Quels que soient les excès qu’on a pu leur reprocher, tous deux se voulaient porteurs d’espoir, de salut, d’amélioration du monde. Ils ont engendré parallèlement une masse inouïe de sacrifices personnels, d’abnégation, de soumission intellectuelle aussi, en raison du but lumineux dont ils incarnaient la promesse.

L’effondrement du communisme sous le poids de ses absurdités économiques et culturelles s’est accompagné d’un effondrement parallèle de son adversaire démo-chrétien, par l’abandon progressif de la pratique religieuse traditionnelle. La France, la Bavière, l’Espagne et l’Italie en sont une illustration spectaculaire.

Le vide créé par cette faille, qui n’a cessé de s’élargir sous les pieds du monde politique en place, appelait une réponse. Le problème, c’est que le vide n’en produit pas nécessairement une seule. Nous voyons sous nos yeux qu’il en a engendré une multitude.

Avec une rapidité due à la puissance des médias et des réseaux informatiques, on a vu surgir des «utopies de remplacement», des visions du monde fractionnées, et d’autant plus militantes de ce fait. Elles occupent le champ des espoirs laissé vide par le marxisme et le christianisme, en Europe du moins. Le besoin d’agir, qui habite chaque génération arrivant à l’âge adulte, éclate au profit de causes multiples, parfois contradictoires (féminisme et islamisme, par exemple), mais toujours sectaires, érigeant le partiel en absolu.

Le premier réflexe de qui ne sait pas très bien comment concevoir l’avenir est de vilipender le passé, dans une sorte de fuite en avant qui regarde en arrière. Ce militantisme «révisionniste», pour recycler un vocable maoïste, touche à peu près tout: les relations entre les sexes, le racisme, le climat, la traite des Noirs (mais pas celle des blanches), la grammaire, le pétrole et les glucides dans les branches de chocolat. C’est un combat sans fin, parce que ses buts sont innombrables.

Les frontières traditionnelles entre droite et gauche s’étaient estompées dans le consensus historique entre social-démocratie et démocratie chrétienne après la guerre de 39-45, admettant l’alternance au pouvoir, dont l’Allemagne a été le modèle. Le bipartisme anglo-saxon en était le précurseur. Tous étaient unis dans le rejet du modèle soviétique, sauf le Parti communiste français, plus lent que son homologue italien à comprendre le monde. Comme à la Renaissance!

Cet effondrement des structures traditionnelles et l’émergence concomitante des «nouvelles luttes» ont créé le fractionnement de la gauche et de la droite dites «de gouvernement». Les blocs anciens essaient de survivre en regroupant les factions: les féministes et les islamistes dans ce qui fut la gauche, les nationalistes et les pro-européens dans ce qui fut la droite libérale, cherchant à fédérer leurs haines plutôt que leurs parentés. Et sur le tas, un discours «écologique» qui, comme la pomme de terre, est la bonne à tout faire.

Quelle sera la réponse à cet effondrement des croyances d’autrefois? Du côté des démocraties occidentales, ce sera le discours «technicien», saint-simonien, la dictature des «experts», dont nous avons vu les errances. En fait, la négation des droits du citoyen, au sens antique du terme.

Les puissances établies ou montantes (USA, Chine, Russie, voire Turquie) profiteront de la décomposition du pouvoir réel en Europe pour lui imposer leurs conditions, maniant à leur profit les divisions intra-européennes.

Comment éviter cela? La résistance commence dans notre liberté de parole, toujours et partout, et dans nos bulletins de vote. Elle réside surtout dans le rappel constant que les communautés humaines sont universelles dans leur essence, mais diverses dans leurs modalités. Et que ces dernières sont une barrière contre les utopies meurtrières, ou simplement dévastatrices.

Staline a vaincu Hitler en faisant appel au patriotisme russe, qui était pourtant la négation absolue de sa doctrine. Il avait vu juste contre sa propre idéologie. Son exemple est plus à méditer sur ce point particulier qu’à imiter en général. Tout le monde en conviendra.

Mais que devant un péril absolu, le plus internationaliste des pouvoirs, ait trouvé pour survivre le ressort de sa communauté naturelle, voilà qui fait réfléchir.

Et ne fera probablement pas une émission à la télévision.

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